L’ÉPHÉMÈRE EN QUELQUES ACTES

Luc Senay

Je suis clown et le resterai encore après ma mort
– Luc Senay

LES PLANCHES, UN SALUT DU CŒUR

1 – LE JEU

Pourquoi le théâtre ?

Je me souviens très bien de ce qui m’a d’abord attiré vers le théâtre : la curiosité, le jeu, le dépassement, le cœur. Cela m’anime encore.

J’ai l’impression de grandir un peu, à chaque nouvelle expérience. Être choisi pour prendre part à une pièce, une série télé ou un film est du pareil au même pour moi. C’est une invitation vers l’inconnu. Une incursion dans un univers fictif. J’essaie de bien servir l’œuvre.

Explorer, chercher, me perdre. Proposer, tenter, me commettre. Enfin, trouver mon personnage, et lui donner vie à l’écran ou sur scène. Participer humblement à raconter une histoire. Et aller à la rencontre des autres : l’auteur.trice et sa plume, le ou la metteur.se en scène et son regard, les camarades de jeu et leur énergie, l’équipe de création, le public. J’apprends à tous coups, et j’ose penser que cela fait de moi une meilleure personne.

Le jeu :

Pour se développer, l’acteur.trice doit exploiter différentes techniques. Le travail du corps, et celui de la voix. Faire appel à l’abandon, et à la concentration. Passer par l’intelligence du texte, comprendre les intentions de l’auteur.trice et transmettre la vision du ou de la metteur.se en scène. Cela demande une rigueur. Tous ces éléments transcendent l’interprétation et la nourrissent, la précisent, lui donnent une justesse, une vérité. Dans cette perspective, dire des mots pour dire des mots ne suffit pas.

Pourquoi Antonin Artaud définissait-il les acteur.trices comme des « Athlètes du cœur » ?

Nous, les acteur.trices, sommes les marathonien.nes du récit. Pas d’égocentrisme possible. Nous devons servir l’œuvre. Reconnaître notre partition, et lui donner un souffle. Voilà notre essence.

– Par exemple, dans un grand orchestre, il n’y a pas que les premiers violons, il y a plutôt des violons à leurs positions, les premiers et les seconds. Puis, les autres cordes, et les musicien.nes des familles d’instruments restantes. C’est précisément cet ensemble qui donne une cohérence, une beauté, une profondeur à la pièce interprétée. Chacun.e joue sa partition, elle n’est forcément pas la même pour tous et toutes. Les mouvements s’emboîtent et l’œuvre se déploie, avec ses nuances qui la composent, ses chants et contre-chants, un tout. C’est avec cette communion du groupe, sous la direction, du ou de la chef.fe d’orchestre, que la magie opère.

Identifier notre place. Et percevoir son importance.

– Je dois d’abord chercher à comprendre la place qu’occupe mon personnage dans l’histoire. Ensuite, découvrir le fonctionnement organique de ce dernier, son énergie, sa vision du monde, son rapport aux autres. Pour y arriver, je préconise l’écoute.

Être à l’écoute du texte. Voir la relation qu’entretient notre personnage avec les protagonistes ou antagonistes, et suivre la courbe dramatique jusqu’à la situation finale.

– La véracité se trouve dans chaque étape. Les situations déterminent l’existence des personnages, leurs actions et leurs intentions. Elles nous donnent la mesure.

– Alors, nous devons tout lire. Nous devons détecter les enjeux et les quêtes de l’histoire. Nous devons situer notre personnage par rapport à ces enjeux et ces quêtes. Nous devons chercher. Explorer les sentiers, tout en acceptant la possibilité de se perdre, de se tromper. C’est l’ouverture qui favorise l’évolution. Nous devons accepter modestement le brouillard, l’incompréhension. Un incroyable plaisir existe dans la recherche ou l’exploration du récit. Celui de se sensibiliser aux intentions de l’auteur.trice.

L’impatience ou l’immédiat.

Il y a une certaine insécurité à ne pas trouver rapidement notre personnage. Comment vais-je le jouer ? Découvrir sa voix, sa façon de parler, de se déplacer.  Éviter la panique, même si l’impatience monte. C’est une démarche qui appelle le calme et du temps. Les réponses ne viennent pas d’un seul bloc. C’est un passage obligé. Nous devons entrer dans une zone d’inconfort.

Tout ce travail se fait en amont. Avant la première lecture, avant la première répétition, et bien avant les représentations en salle. Nous nous aventurons dans le cycle évolutif. À mon avis, nous ne devons pas chercher le comment, mais le pourquoi. J’y reviens encore, mais c’est la base.

Quelle est l’histoire ? Qu’est-ce que nous voulons raconter ? Que dois-je comprendre ? Pourquoi mon personnage dit-il ceci ou cela ? Qu’est-ce que le texte demande ? Quelle est la quête de mon personnage ? Est-ce que j’incarne un aidant ? Un opposant ? Un messager ? Mon personnage est-il le moteur de l’histoire ? Évolue-t-il en périphérie ou est-il impliqué directement dans la quête principale ? Sinon, la quête secondaire ? Est-il figurant ? Chercher avec l’intelligence du cœur, pour mieux trouver l’âme.

Les répétitions :

Le fait de répéter peut donner un sentiment aliénant. Pourquoi dit-on « répéter » ? Nous ne sommes pas des perroquets. Au jour le jour, nous portons le bagage de nos expériences et états d’âme. Nous ne sommes pas un disque qui tourne toujours la même musique. C’est, à mon avis, un piège de répéter machinalement la musique du texte. Qu’adviendra-t-il à la 395e représentation ? Allons-nous juste jouer la musique du texte et la chorégraphie des déplacements ? Nous ne sommes pas des robots programmés.

Alors, à chaque représentation, revenir à notre personnage. Il va dire ce qu’il doit dire « pour la première fois de sa vie ». Il va aussi entendre ce que les autres personnages vont lui dire « pour la première fois de sa vie ». C’est avec cette conception en tête que j’incarne le même rôle, soir après soir, « au présent » et dans le plaisir du jeu !